Libra, pourquoi Facebook dérange ?
Si Facebook arrive sur le terrain des fintech en s’affranchissant du système bancaire traditionnel ce sera l’effet d’un véritable tremblement de terre et la secousse sera telle qu’elle risque d’affecter des états tout entier. La question de la collecte des données privées est aussi importante.
1/ Séisme économique, les institutions tremblent
Ce qu’il faut garder à l’esprit c’est que la souveraineté monétaire représente pour les états un instrument fondamental de la politique économique.
Avec le Libra Facebook n’a pas vocation à créer de la monnaie à proprement parler comme le fait un état. La crypto sera un stablecoin soutenue par des réserves en FIAT (50% $, 18%€, 14% le yen 11% la livre sterling et 7% le dollar singapourien ..) Libra garantira donc le change vers les devises traditionnelles.
En Europe par exemple la menace à court terme s’exerce surtout à l’encontre du système bancaire classique. Si 2,4 milliard de personnes quittent du jours au lendemain leurs banques en retirant leur actifs pour les transférer sur la blockchain Libra, bon nombre de ces banques ne pourront satisfaire la demande et seront à court de liquidité.
Ce scénario est en pratique peu probable mais si la pérennité de l’euro est pour le moment assurée, d’autres état dont la monnaie est rongée par l’inflation risquent eux de perdre leur souveraineté monétaire au profit de la devise numérique qui se démocratisera très rapidement.
Quand Bruno Lemaire assène que le libra sera interdit en Europe, cela ne montre pas seulement à quel point le régulateur est pris de vitesse mais aussi que le risque est bien réel pour un système bancaire déjà affaibli.
Soulignons enfin le risque à long terme de voir émerger une puissance monétaire privée en capacité d’influencer les marchés. Le Libra étant indexé proportionnellement sur certaines devises ($, € Yen ..) il pourrait exacerber la concurrence entre banque centrale. S’exclure du Libra impliquerait pour la BCE de redoubler d’effort pour assurer la compétitivité de l’€.
2/ Quel avenir pour les banques centrales?
Comme nous l’avions déjà évoqué début 2018, les banques centrales ont tout intérêt à développer un “étalon numérique” indexé avec une parité de 1/1 sur leur propre devise.
En somme un “stablecoin” qui tokéniserait les FIAT pour faire évoluer le système bancaire traditionnel en lui permettant de bénéficier des avantages technologiques offerts par la blockchain.
Plus qu’un intérêt cette évolution est une nécessité, au risque de voir les utilisateurs délaisser le système traditionnel au profit de services plus compétitifs. Ce processus logique est la raison pour laquelle IBM avait engagé dès depuis 2018 le dialogue avec plusieurs banques centrales dans le but de démarrer cette transition. Or l’incompétence technologique de certains dirigeant et le manque de flexibilité inhérent à de telles institutions rendent la tâche lourde et fastidieuse.
Notons que la chine prévoit le lancement de sa crypto-monnaie en 2020, l’enjeu est autant politique qu’économique.
3/ Strip tease numérique, tous à poil
La blockchain Libra est privée, chaque membre de la “Libra Association” gère et sécurise un noeud de validation sur la chaîne. Cela signifie que que l’association pourrait s’entendre et modifier en théorie, dans un cas extrême la blockchain (avec toutes les complications que cela engendrerait).
Les raisons qui poussent Facebook a vouloir garder le contrôle de sa blockchain dans un tel projet sont compréhensibles mais aussi contestable.
Enfin vient la question des données. Nous l’avons vu plus haut, la valeur ajouté que représenteront toutes les données transactionnelles des utilisateurs de Facebook est inestimable. Facebook ne cache d’ailleur pas son intention de les collecter.
Cependant, la conscience des utilisateurs en matière de données personnelles s’est accrue ces dernières années et les craintes avec le LIbra sont fondées.
Quid des produits financiers que Facebook pourrait proposer? Assurance, crédit, ces produits pourront être indexés sur votre comportement, sur votre personnalité, vos habitudes, avec comme mot d’ordre la gestion du risque.
Au moment de souscrire un crédit, vous n’aurez plus à signer sur l’honneur un questionnaire laconique et interminable sur vos antécédents médicaux etc.. Facebook disposera déjà de toutes ces données et ces algorithmes vous connaîtrons de toute évidence mieux que vous ne vous connaissez vous même.
Comment Facebook communiquera t il sur ces sujets? S’il veut pleinement réussir à imposer et démocratiser l’utilisation du Libra, il devra jouer la transparence.
Faudra t il alors monétiser nos données? Le modèle reste à inventer et cette problématique s’étend aujourd’hui à toute l’économie du numérique.
Nous vivons, au regards des évolutions technologiques de ces dix dernières années (Internet, blockchain, IA…) et des changements structurels qui les accompagnent une époque charnière. Quoi qu’il advienne, les temps à venir s’annoncent passionnants.
« Le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais apparaît à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le ruiner. » (Joseph Schumpeter)