L’internet des valeurs : comment la Blockchain peut transformer notre économie de marché.

L’internet des valeurs : comment la Blockchain peut transformer notre économie de marché.

L’idée d’une monnaie décentralisée et dématérialisée a fait son chemin. En 1999 Milton Friedman pour ne citer que lui, énonçait ceci : “Ce qui manque actuellement, mais qui fera bientôt son apparition, c’est une e-monnaie en laquelle on ait confiance, un moyen avec lequel par le biais d’internet vous puissiez transférer des fonds de A à B, sans que A ne connaisse B ou B ne connaisse A.”
(“The one thing that’s missing, but that will soon be developed, is a reliable e-cash, a method whereby on the Internet you can transfer funds from A to B, without A knowing B or B knowing A.”).
L’avènement de la Blockchain rend désormais possible le partage d’un registre de compte unique entre tous ses utilisateurs. L’immuabilité du registre est garantie dans la mesure où chaque transaction avant d’être inscrite doit être vérifiée et approuvée par le réseau. Parmi les nombreux secteurs où cette technologie promet d’être disruptive, la fonction monétaire ou l’échange de valeur reste la plus évidente. Notre génération a grandi avec internet, nous avons tous été témoins de l’importance et de la place qu’a pris le réseau dans nos vie ces 20 dernières années. La Blockchain est une étape supplémentaire dans ce processus.
Comment penser les mutations qui se dessinent aujourd’hui? Comment mesurer l’impact des crypto-monnaies sur les moyens de paiements traditionnels?
L’histoire des paiements est jalonnée par le progrès technique mais les transactions financières présentent aujourd’hui des limites que la Blockchain peut dépasser.

# Des paiements dans l’histoire

“Affiche publicitaire de la BNP pour son offre de banque à domicile (Minitel), 1984 – Archives historiques BNP Paribas”

Payer c’est transférer de la valeur dans le but de remettre à quelqu’un ce qui lui est dû.
Du troc pratiqué depuis plus de 12 000 ans à l’apparition de la monnaie « sonnante et trébuchante », 2000 ans avant Jésus-Christ, puis des billets vers 800 et des chèques, arrivés en France en 1826 les hommes ont fini par utiliser une large palette de moyens de paiement.
Cette “palette” n’a cessé de s’étoffer avec le progrès technique et l’apparition des TIC a ouvert de nouveaux horizons.
La carte bancaire reste aujourd’hui le moyen de paiement le plus plébiscité par les français et les moyens traditionnels que sont les chèques ou le paiement en espèce sont en déclin. Si d’aucuns prophétisent déjà la fin des pièces et billets telles que nous les connaissons, l’avenir des moyens de paiement réside sans aucun doute dans les terminaux mobiles, smartphones ou tablettes.
Il faut cependant différencier la monnaie des moyens de paiement, si vous détruisez votre carte bleu vous ne détruisez pas de valeur, à l’inverse lorsque vous brûler un billet vous détruisez de la valeur.

# La monnaie et ses usages

La monnaie est l’instrument de paiement en vigueur en un lieu et à une époque donnée, du fait de la loi des usages : les agents économiques l’acceptent en règlement d’un achat, d’une prestation ou d’une dette.
Pour qu’il y ai monnaie, on admet généralement que trois fonctions soient réunies:

1/ Une unité de compte (= instrument de mesure de valeur)
La monnaie est une unité de valeur qui permet de mesurer la valeur des biens et des services de nature et de qualité très différentes. C’est-à-dire un étalon, une unité de mesure commune grâce à laquelle un prix est établi pour chaque bien selon ses spécificités.

2/ Un instrument d’échange
La monnaie facilite les transactions entre les agents économiques car elle est acceptée par tous. Elle est immédiatement disponible et sans frais, c’est un actif liquide.
La monnaie joue donc un rôle fondamentale dans notre économie dans la mesure où elle permet aux agents d’échanger des biens. Elle permet d’éviter le troc qui a des inconvénients : biens non équitables, biens ne se conservant pas et biens qui ne sont pas toujours accepté de tous.

 3/ Un instrument de réserve de valeur
C’est un moyen qui permet de transférer de la valeur. Un agent économique peut, soit utiliser immédiatement la monnaie qu’il détient, soit la mettre en réserve.
Enfin la monnaie peut se présenter sous plusieurs formes. Si on parle de monnaie divisionnaire ou fiduciaire pour désigner les pièces\billets de banque c’est la monnaie scripturale qui reste majoritairement usitée. Scripturale parce qu’elle se matérialise par un jeux d’écriture. Elle est l’ensemble des dépôts des agents économiques auprès des banques et représente 87% de la monnaie en circulation. C’est elle qu’on utilise via les moyens de paiements contemporains que sont les virements, les cartes bancaires ou les chèques.
A ce qui raillent les crypto-monnaies en soulignant leur caractère immatériel, vous pourrez désormais leur rétorquer ceci : aujourd’hui 90% de la masse monétaire en circulation est dématérialisée, la majorité de la monnaie que nous utilisons est donc déjà électronique. Définir la monnaie, son rôle, ses usages, nous est indispensable pour en comprendre les limites.

# Des frais de transaction/durées de validation élevées.

Dans notre économie globale, les échanges de biens, de personnes n’ont cessés de croître depuis le 20eme siècle et l’avènement des TIC a profondément modifié notre rapport à la distance. Toutefois l’interconnexion des acteurs économiques reste limitée par les difficultés techniques liées au transfert de la valeur, d’un agent à l’autre, d’un pays et d’une devise à l’autre.
Réaliser un virement international coûte cher, généralement, un règlement européen sera facturé entre 2 et 4 €. Les virements bancaires réalisés hors Europe coûtent eux encore plus cher. Des frais d’émission sont à régler par l’émetteur ainsi que des frais de réception, par le bénéficiaire. S’ajoutent ensuite des frais de commission de change. Conséquence, il faut compter 13 à 25 € de frais minimum par virement en devises étrangères ou entre 0,09 et 0,12 % du montant transféré ! 
Sans mentionner le coût financier pour les entreprises qui réalisent leur chiffre d’affaire à l’étranger la durée de validation des transferts représente également un frein pour leurs échanges commerciaux.

En effet, le délai de confirmation d’un virement est long, 3 à 4 jours pour que l’argent pour soit disponible sur le compte du bénéficiaire. Ces limites sont en grande partie techniques et les banques justifient les frais élevés par les coûts de gestion qu’elles doivent supporter.
Ce qui est vrai pour les entreprises l’est aussi pour les particuliers. Prenons l’exemple d’un travailleur immigré qui vit aux Etat-Unis, cette personne souhaite envoyer de l’argent à sa famille en Afrique mais ne peut se permettre d’envoyer que 20$ par semaine. Ces 20$ représentent beaucoup pour sa famille, or le coût exorbitant (>20$) facturé par la banque rend le transfert inutile. Enfin si sa famille ne possède pas de compte bancaire, elle peut difficilement accéder à l’argent.

# L’accès aux services bancaires

2 milliards c’est le nombre de personnes dans le monde n’ayant pas accès aux services bancaires.
Dans les économies émergentes, plus de 200 millions de micro, petites et moyennes entreprises (MPME), formelles et informelles, manquent de services financiers adaptés qui leur permettraient de croître et de prospérer.
Selon la banque mondiale à l’échelle de la planète, 59 % des adultes ne possédant pas de compte invoquent le manque d’argent, signe que les services financiers restent trop coûteux ou ne sont pas adaptés à des usagers peu fortunés. Parmi les autres obstacles cités, l’éloignement des établissements financiers ou la défiance vis-à-vis des prestataires de services financiers.
Si la banque mondiale et le G20 se sont fixé un objectif ambitieux d’universalisation de l’accès aux services financiers à l’horizon 2020, c’est que l’inclusion financière est un moteur déterminant pour réduire l’extrême pauvreté et promouvoir une prospérité partagée.
En effet l’accès à des produits et services financiers facilite le quotidien et aide les ménages et les entreprises à anticiper le financement d’objectifs de long terme ou faire face à des imprévus. Un individu détenteur d’un compte courant sera plus enclin à recourir à d’autres services financiers, comme le crédit ou l’assurance, à créer une entreprise ou développer son activité, à investir dans l’éducation ou la santé.
La technologie financière, ou « fintech », et en particulier la banalisation de la téléphonie mobile dans le monde, doit faciliter l’élargissement de l’accès aux services financiers pour des populations difficiles à atteindre et les entreprises et ce à moindre coût.


La banque Barclays évoquait dans un récent rapport un problème de pénétration du marché africain. Si elles veulent s’adapter aux mutations et conquérir de nouveaux marchés, les banques traditionnelles n’ont d’autres choix que de dépasser leurs limites structurelles et d’adapter leur modèle économique en s’appropriant les innovations issues de la Fintech. En 2050 la banque du futur ressemblera sans doute plus à un géant du net, une entreprise dont les services totalement dématérialisés sont accessibles instantanément à tous.

# En quoi la Blockchain est elle disruptive

Les nouveaux protocoles de paiement développés sur les Blockchain permettent de valider des transactions en quelques secondes et pour des frais quasi inexistant.

Si l’une des fonctions de la monnaie réside dans sa capacité à servir d’intermédiaire dans les échanges, la Blockchain révolutionne cette fonction.

De 3 à 4 jours pour un virement international, le délais de validation passe de 3 à 4 secondes. Les transferts d’une devise à l’autre s’effectue instantanément et les frais nécessaires à la constatation des échanges sont réduits aux maximum, proches de zéro.

# L’internet des valeurs

L’apparition d’internet et son développement fulgurant depuis le web nous permettent aujourd’hui de communiquer, d’échanger instantanément de l’information. Avec la Blockchain il nous sera possible demain en un clique de transférer et d’échanger de la même façon de la valeur.

Depuis l’invention de la roue, l’interconnectivité des agents économiques n’a cessé de croître. Si la démocratisation d’internet et des TIC a accéléré de façon exponentiel ce phénomène, la Blockchain s’inscrit dans la continuité de ce processus. 

Les échanges commerciaux seront démultipliés car facilités, sans contraintes de frontières ou de temps. Ces progrès techniques donneront un nouvel élan à l’économie de marché telle que nous la connaissons et au libéralisme, ils permettront en parallèle une redistribution des richesses vers les pays émergents.

# La “Token economy”, peut on tout digitaliser?

Digitaliser des actifs réels sous forme de tokens offre de plusieurs avantages: les biens peuvent désormais s’échanger, se vendre, s’acheter plus facilement. De nouveaux marchés vont se créer, on assiste déjà à la tokenisation des œuvres d’art, des matières première, des métaux précieux, des titres financiers etc.. les perspectives sont nombreuses.

Le développement des ICO (voir définition) qui permettent à une entreprise de se financer en émettant des Tokens contribue lui aussi à la multiplications des valeurs.

A l’avenir nous pouvons supposer que nous posséderons de multiples réserves de valeurs (token, fiat, actions et autres actif financier). L’utilisation des terminaux de paiement mobiles (smartphone) facilitant leur gestion, nous n’auront qu’à sélectionner au moment de payer dans nos portefeuilles électronique la valeur de notre choix (voir « path finding »).

Nous pourrons par exemple régler l’achat d’une voiture en utilisant nos actions IBM, choisir de payer notre baguette de pain en devise ou en crypto-actif, le paiement sera réalisé instantanément et presque sans frais.

Les Blockchains enregistreront la majorité des échanges financiers, elles permettront l’émergence d’applications de paiement et de gestion de la valeur qui concurrenceront directement le modèle actuel des banques.

# La disparition des monnaies traditionnelles est elle envisageable?

Autrement dit, les Tokens peuvent ils servir de monnaie au sens strict du terme?

Nous l’avons vu, pour qu’il y est monnaie, trois fonctions doivent êtres établies. Si les Tokens peuvent assurer une fonction d’intermédiaire dans les échanges, voir de réserve de valeur, la volatilité du marché restreint leur utilité en tant qu’unité de compte. Une unité de compte se doit d’être stable et est indispensable pour garantir les échanges commerciaux.

La digitalisation croissante des moyens de paiement incitera sans doute les banques centrales à émettre un étalon digital de leur monnaie, un crypto-euro construit sur une Blockchain dont la valeur de chaque unité serait soutenu par un euro réel.

Les Tokens seront donc amenés à coexister avec les fiat, il serviront de réserve de valeur ou d’intermédiaire mais le prix final devra lui être mesuré par une unité de compte stable et légitime. Aujourd’hui seules les monnaies institutionnelles peuvent assumer ce rôle.

# Conclusion

Cette phrase de Paul Valéry pourrait résumer à elle seule notre réflexion : “Si l’homme sait assez souvent ce qu’il fait, il ne sait jamais ce que fait ce qu’il fait.”

Lorsque Tim Berners-Lee, un physicien britannique, inventa le web en 1989. À l’origine, le projet baptisé « World Wide Web », était conçu et développé pour que des scientifiques travaillant dans les universités et les instituts du monde entier puissent s’échanger des informations instantanément.

Qui pouvait alors penser l’impact qu’aurait le web sur nos vies, nos usages, notre façon de communiquer, d’échanger, de consommer?

Nous vivons une situation similaire avec la Blockchain, personne ne peut entrevoir avec certitude les changements qui s’opèrent mais nous pouvons être certains d’une chose. Comprendre aujourd’hui les mutations induites par l’innovation, c’est demain pouvoir tirer profit des perspectives qui en découlent.

Puis il adviendra un jour où, ce qui pour nos aînés paraissait terrifiant, ce que nous qualifions d’innovant, s’imposera par son évidence à nos enfants.

 

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